Samedi 09 juillet
La douche matinale est prise ce matin dans la salle de bain personnelle du gardien, absent aujourd’hui pour cause de Bajram. La presque totalité des commerces de cette région peuplée d’albanais sera fermée aujourd’hui, pour laisser place à la célébration religieuse la plus importante de l’islam qui marque la fin du ramadan dans les Balkans.
Nous visitons ce matin le monastère Visoki Decani, l’un des cinq monastères orthodoxes serbes du Kosovo et probablement l’un des plus impressionnants de cette région du sud des Balkans.
Il héberge actuellement, et depuis 1999, un important détachement militaire de la KFOR (Force armée pour le Kosovo, mise en oeuvre par l’OTAN sous mandat de l’ONU) qui s’est installé ici avec tout l’attirail sécuritaire qui accompagne ces casques bleus internationaux, en l’occurrence majoritairement italiens. La route est coupée dans les deux sens par des dispositifs anti-bélier et des postes de contrôles à distance du camp, protégés par des barricades et des barbelés, ainsi que par des véhicules blindés et des auto-mitrailleuses impressionnants. On sent le personnel militaire sur ses gardes, surtout en ce lieu qui est une sorte d’îlot orthodoxe au milieu d’une zone de religion islamique prégnante, et en particulier en ce jour de fête religieuse, mais les militaires restent d’un contact facile et ouvert. De nombreux sites religieux orthodoxes ont été pillés, profanés, vandalisés par des extrémistes albanais depuis les émeutes anti-serbes de 2004. Nous avons d’ailleurs pu voir également une place forte de la KFOR dans la vallée de la Rugova près de Pejë. Même si c’est à Rambouillet que furent menées les négociations serbo-kosovares qui ont conduit à un accord signé par les albanais mais refusé par les serbes, la France n’est pas le premier pourvoyeur de personnel militaire du contingent des 3700 casques bleus qui stationnent encore aujourd’hui sur le territoire du Kosovo. Les USA représentent la plus forte composante de ce détachement international, et détiennent accessoirement une des plus puissantes bases militaires d’Europe du sud-est, à la frontière de la Serbie pro-russe.
La cohabitation de ce détachement de quelques dizaines de soldats et des vingt huit moines en ce lieu de culte est tout de même étonnante. La boutique de souvenirs pieux est d’ailleurs tenue par un militaire en tenue.
Un moine anglophone nous prodigue des informations personnalisées lors d’une visite qui nous est totalement dédiée puisque nous sommes les seuls visiteurs ce matin, avant qu’un bus de touristes italiens bruyants ne se précipite dans l’église.
Nous stationnons à côté d’un autocar que je reconnais, et nous retrouvons son chauffeur italien déjà rencontré au Monténégro dans le parc Lovcen sur le parking du Mausolée de Njegos ! Il a pu rentrer sans problème et faire réparer le ventilateur du moteur depuis que nous l’avions quitté cinq jours plus tôt.
Par un itinéraire fait de petites routes traversant des espaces ruraux, nous nous dirigeons vers Krushë e Madhe / Velika Krusa, à la recherche de la coopérative Krusha.
C’est dans le film “La Ruche” de la réalisatrice kosovare Blerta Basholli que nous avons découvert l’Ajvar, la plus typique préparation culinaire à base de poivron des Balkans qui est un des éléments centraux de cette fiction basée sur la réalité de la vie d’une femme dont le mari a disparu durant la guerre de 1999. Nous avons trouvé cette coopérative fondée avec opiniâtreté par la veuve de guerre Fahrije Hoti en 2005 pour donner de l’activité aux autres femmes de son village, en se battant contre le patriarcat implacable de la société kosovare. Pour cause de aïd el-fitr, l’établissement est fermé, et le seul magasin ouvert dans le village a épuisé son stock, la nouvelle livraison étant prévue ce lundi. Mais demain nous ne serons plus là.
Un monument érigé à la gloire des combattants de l’UCK (l’Armée de Libération du Kosovo) nous offrira un point de vue sur la ville idéal pour notre pause déjeuner.
Le peuple du Kosovo voue un culte indéfectible à l’organisation para-militaire qui a défendu le territoire par une guérilla de forte intensité durant les années 90, et combattu pour l’indépendance lors de la guerre de 1999.
De très nombreux monuments parsèment le territoire, en l’honneur de combattants tombés lors de combats contre l’ennemi serbe.
Les civils ont également payé un lourd tribut à l’indépendance du Kosovo.
Nous filons ensuite sur Prizren, la seconde ville du Kosovo. C’est une ville qui semble très agréable à vivre, avec un large quartier piétonnier animé en ce jour de fête largement partagé. Dans les faubourg de Prizren, un immense marché informel s’est installé le long des rues, sur les trottoirs et les places. Il s’agit de profiter de ce jour particulier pour proposer aux quidams de s’approvisionner en mouton, en ce jour du rituel du sacrifice. Déjà à l’entrée de la ville un embouteillage avait été créé par la traversée de la rue par un énorme troupeau de brebis destinées à ce marché aux bestiaux.
Depuis le restaurant où nous avons choisi de dîner, nous bénéficions d’une vue plongeante sur la ville et ses lumières dans la nuit.
Nous avions préalablement repéré un restaurant qui acceptait que l’on puisse se poser pour la nuit à l’extrémité de son parking. Ce bivouac n’est pas des plus extraordinaires, mais pratique et tranquille vu les circonstances du jour.